Analyse réflexive
Une première remarque évidente : les élèves se sont emparés à la fois de leur séquence (de façon parfois explicite dans une classe, implicite dans l’autre), ainsi que de leur vécu quant à la méditation.
Dans la 1ère classe, ils reprenaient l’idée de Sénèque expliquant que le plaisir, aussi intense soit-il, se révèle tout à la fois inconsistant et éphémère. Inconsistant car l’être désiré ou l’objet consommé perdent les qualités que l’imagination leur conférait, et éphémère car le plaisir est une sensation qui perd en durée ce qu’elle gagne en intensité, érodant par là-même la représentation d’un bonheur que chacun voudrait indéfini[1].
Par ailleurs, il faut dire que l’autre classe a été particulièrement ébranlée par la DVDP, suite à plusieurs remarques d’élèves disant qu’ils ne peuvent pas répondre car « n’ayant jamais connu le bonheur ». Seule cette réflexion a alors libéré la parole de beaucoup d’entre eux. En effet, certains élèves de cette classe vivent des situations parfois compliquées, voire tragiques (maladie, perte d’un proche, etc.). Ne souhaitant pas brimer leurs mots, j’ai donc volontairement laissé la DVDP se poursuivre. Sans avoir de connaissances philosophiques, j’ai pu constater la maturité de beaucoup d’entre eux, ayant savamment distingué les notions de plaisir, de joie et de bonheur, que les philosophes ont tenté définir.
En effet, les moralistes du plaisir, appelés hédonistes, sont souvent, comme Anatole France, des philosophes sceptiques et désabusés. Il faut donc soigneusement distinguer et hiérarchiser plaisir, joie, et bonheur.
Le plaisir, qui marque tout simplement la satisfaction de telle ou telle tendance biologique, nous paraît naturel et ne pose pas spontanément de question. Nos plaisirs comme nos tendances sont multiples et hétérogènes. Chaque plaisir a quelque chose de particulier, de limité, par là de superficiel et ne concerne pas ma personnalité considérée comme un ensemble, comme un tout. Le plaisir s’éprouve dans l’instant, et est du domaine de la sensation qui échappe en quelque sorte à la continuité de la durée psychique.
Tandis que le plaisir est lié à l’instant, la joie, elle, suppose le temps d’une œuvre. Elle est rythme parce qu’elle associe un idéal, qui vaut en lui-même, en dehors du temps, et une réalisation qui dépend du temps. L’ennui est le contraire de la joie, car dans l’ennui je suis possédé par le temps, je ne le possède pas. Le temps de l’ennui s’allonge et pèse. Au contraire, le temps de l’action, le temps de l’œuvre, c’est le temps dominé, le temps programmé, le temps joyeux. Comme l’écrit Bergson : « Partout où il y a la joie il y a création ; plus riche est la création, plus profonde est la joie ».
Si le plaisir occupe l’instant et la joie le temps d’une œuvre, le bonheur, cette « jouissance infinie de l’être », dont parlait Spinoza, ne peut concerner que l’éternité. Par là, le bonheur est impossible à l’Homme. Ce dernier cherche dans le temps à se rapprocher de l’idéal dont il rêve. Le bonheur appartiendrait donc à l’éternel, il serait plutôt divin qu’humain. Le plaisir, liée à la satisfaction des instincts au cours des instants successifs, reste sur le plan de la vie animale. La joie seule est proprement, exclusivement humaine, car elle appartient au temps.
[1] Sénèque, « De la vie heureuse », traduction de E. Bréhier, in Les Stoïciens, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1962, p. 729-730.